Aude Selly, fondatrice du site de recrutement Pôle QVT, dévoile des pistes pour développer le recrutement de postes en lien avec l'inclusion et la qualité de vie au travail dans les organisations.
En quoi consiste votre projet, "Pôle QVT", et quel est son objectif ?
Le site est en ligne depuis le 15 juin 2020 ; il est déjà ouvert aux candidats, qui peuvent y déposer leur CV. A partir du 1er septembre, les employeurs pourront eux aussi créer leur compte sur le site (et bénéficier d'ailleurs d'une offre exceptionnelle gratuite !).
Le principe est simple : les entreprises payent un abonnement pour avoir accès à la CVthèque de façon illimitée, mais aussi pour diffuser leurs annonces (sans limite de nombre, avec le forfait d’un an).
Avec la crise économique, nous avons décidé d’encourager les entreprises à recruter dans 6 domaines attractifs et à forte à valeur ajoutée : la responsabilité sociétale, la QVT et la prévention des risques psycho-sociaux, le handicap, l'économie sociale et solidaire. le développement durable, le respect de la biodiversité.
Notre mission est de développer la qualité de vie générale au sein des entreprises. Quand une personne fait un métier qui a du sens pour elle, elle s’engage réellement. Les offres d'emplois qui figureront sur le site Pôle QVT seront axées sur le développement de la qualité de vie et la prévention primaire dans les 6 domaines cités ci-dessous.
Aujourd’hui, salariés et futurs salariés ont soif d’équilibre entre vie perso et vie pro, d’exercer un métier utile, d’être accompagnés avec un mentor à côté et non au-dessus d’eux, de se sentir fiers de travailler pour une entreprise qui se soucie de son impact sur l’environnement… Ils ne veulent plus d’un monde du travail "comme avant", ils veulent une entreprise engagée. Mon but est de rentrer dans une réflexion plus inclusive, plus juste, en suscitant l’intérêt de développer des métiers participant à une vision durable de la société.
Je suis persuadée que la prévention des risques psychosociaux et le management de la qualité de vie au travail sont essentiels, tout comme ce qui est lié à la RSE, au développement durable ou à l’économie sociale et solidaire. C’est d’autant plus valable suite à la crise du Covid-19 qui a eu un fort impact psychologique sur les Français, et qui a provoqué des remises en question sur le sens au travail.
De plus en plus de micro-entreprises sont créées par des salariés qui ont vécu une expérience difficile et sont déçus du salariat. Ils se lancent alors dans la jungle du travail indépendant. Si l'entreprise propose un cadre dans lequel les salariés peuvent évoluer sereinement et avec autonomie, je suis sûre que beaucoup d’indépendants la réintégreront, et bénéficieront de nouveau de la stabilité d’un emploi avec un salaire qui tombe tous les mois.
Nous constatons via les retours très positifs sur notre projet que les gens ont peur de ne pas tomber sur une entreprise sincèrement engagée et souhaitant juste peaufiner sa marque employeur, sans authenticité. Mais nous avons une vision optimiste et nous sommes convaincus que les entreprises qui consulteront les CV et posteront des annonces sur notre site seront engagées dans une démarche positive. Pour le bien de leur réputation, elles devront démontrer une volonté sincère dans la mise en place d’actions concrètes !
Comment valorisez-vous l'inclusion à travers la plateforme "Pôle QVT" ?
J’ai voulu développer l’inclusion sociale via l’exemple de l’intégration des personnes ayant des troubles de l’audition et de la parole, des personnes ayant une déficience visuelle, ou plus largement des handicapés physiques au sein de l’entreprise. 20% de la population française est en effet touchée par un handicap.
L’autre sujet qui me tient vraiment à cœur est l’intégration ou le maintien de l’emploi des seniors. On est catégorisé senior dès l’âge de 45 ans ! Leur taux de chômage est trop important, or il n’y a aucun avantage à ne pas utiliser leurs compétences et leurs expériences cumulées avec les années. Ce sont souvent des experts dans leur domaine.
A partir du moment où le cadre est propice à la performance de chacun, tout le monde peut avoir un emploi en entreprise. J'ai toujours été inspirée par cette phrase de Milton Berle : « If opportunity doesn’t knock, build a door ».
Grâce au lexique des métiers présent sur le site, j’ai donc voulu mettre en avant les métiers au service du handicap et en faveur de l’inclusion en entreprise. Je pense, par exemple, au poste de Responsable Diversité dont le rôle est d’établir une stratégie et une politique de lutte contre les discrimination.
Côté inspiration, notre E-MAG, téléchargeable gratuitement, a pour but d’informer et communiquer sur l’actualité, les actions mises en place, les initiatives, les bonnes pratiques ou astuces en lien avec la qualité de vie au travail.
Quels postes pourraient être développés pour favoriser l'inclusion ?
Sur Pôle QVT, il y aura aussi bien des profils ou offres d'emploi d’interprètes en langue des signes, d'ergonomes ou de développeurs pour rendre accessible les sites internet à tous (ça existe encore trop peu).
Je pense aussi qu'il serait intéressant de développer des postes de "pivots générationnels" pour faciliter les binômes inter-générations : les jeunes ont besoin d’intégrer la culture, les process, ou tout simplement de pouvoir se reposer sur l’expérience d’un salarié senior qui a plein de choses à transmettre. Pourquoi d'ailleurs ne pas laisser les seniors animer des ateliers de pratiques professionnelles ? L’entreprise se doit d’être créative pour favoriser l’inclusion sociale.
Quelle est votre histoire et qu’est-ce qui a poussé le développement de votre démarche ?
En parallèle de mes études, je travaillais à temps partiel chez Pizza Hut. J’ai évolué très vite sur un poste de manager, et je voulais basculer en RH. Il n’y avait pas de poste disponible chez Pizza Hut, je suis ensuite allée chez Nature & Découvertes. On m’a mutée sur le plus gros magasin à Paris et j’avais toujours en tête cet objectif : j’ai donc obtenu mon master en RH grâce au Fongecif, ce qui m’a permis d’évoluer dans ce domaine. En 2008, je suis parvenue à obtenir le poste idéal, RRH opérationnelle, en support du directeur d’une équipe managériale d’une centaine de salariés.
Au départ, j’étais très enthousiaste ; puis j’ai rapidement été confrontée aux difficultés de ma fonction et au stress chronique. L’isolement, la surcharge de travail, le manque d’autonomie et un manque d’écoute m’empêchaient de partager mes solutions sur des dysfonctionnements. De manière générale, il y avait un manque de reconnaissance et d’autres facteurs d’apparition de troubles psychosociaux.
Le 24 mai 2012, au terme du processus de l’épuisement professionnel, j’ai craqué, et j’ai fait une tentative de suicide. J’ai écrit 3 livres sur le sujet : Quand le travail vous tue – Histoire d’un burnout et de sa guérison, mon témoignage que j’ai écrit en 6 jours ; Burnout et Après ? Comment se reconstruire et comment le prévenir, dans lequel je partage les clefs de la reconstruction grâce à différents témoignages ; et enfin Renaissance : il y a une vie après le burnout, sur le retour à une activité professionnelle et des solutions pour éviter l’épuisement professionnel en entreprise.
La publication de ces ouvrages, et notamment du tout premier, m’a clairement tirée vers le haut. J’ai compris que je n’étais pas seule à vivre cette épreuve. Mes nombreuses interventions médiatiques ont conforté l’idée que ce mal professionnel fait des ravages quels que soient l’âge, le genre, le secteur d’activité, le métier, le niveau hiérarchique. J’ai commencé par faire des conférences pendant lesquelles je partageais mon expérience. Au fur et à mesure, j’ai développé une expertise sur le sujet. Je suis passée du statut de victime à celui de professionnelle spécialiste du burn-out. Ce livre a été adapté en une pièce de théâtre intitulée « Bien naître au Travail » et jouée dans des entreprises - y compris au sein d’une des entreprises qui a été confrontée à la vague des suicides en 2008-2009.
Après un DU en Prévention des Risques Psychosociaux et Management de la qualité de vie au travail en 2016, j’ai été marquée par la difficulté à trouver un emploi, et par le manque de débouchés. Pourtant, l’impact du stress chronique n’a jamais été autant d’actualité, et l’intégration de professionnels pour travailler sur ces problématiques me semblait évidente.
Au-delà de l’obligation légale, j’ai compris que la qualité de vie au travail était aujourd'hui une nécessité, quelle que soit la structure. Mais ma réflexion va plus loin car je considère que la QVT ne se résume plus uniquement à des actions cosmétiques pour renforcer le bien-être. Au-delà des aspects gérés par l'employeur, de nombreux facteurs jouent sur le plaisir à travailler : le trajet domicile-travail, la qualité du sommeil, la prise de conscience sur l’impact du réchauffement climatique, la solidarité... C’est encore plus criant chez les plus jeunes, or, en 2025, 75% de la population active aura entre 20 et 40 ans.
La somme de mes expériences professionnelles et personnelles a nourri l'idée d'apporter une solution pour aider les entreprises à garder leurs salariés engagés. Voilà comment est né le projet de créer le site de recrutement spécialisé Pôle QVT.
Avec qui allez-vous travailler pour remplir ces objectifs ?
Nous sommes dans une dynamique de co-construction avec des partenaires, comme l’Association Régionale pour l’Intégration des Sourds en entreprises, qui fait de la sensibilisation sur le sujet avec des formateurs pour aider les entreprises à faciliter l’intégration professionnelle. Sur la base du volontariat, cette association a la structure pour faire apprendre la langue des signes en entreprise. Mon objectif est de les mettre en avant, pour que les entreprises sachent que l’Aris peut leur permettre d’innover sur le thème de l’inclusion. Pourquoi ne pas se donner l’objectif, via l'Aris, d’organiser par exemple des afterworks entre les personnes en déficience auditive et les salariés qui ont développé une connaissance de la langue des signes ?
Nous avons également un partenariat et nous sommes fiers d'avancer avec l'association Avenir Femmes, avec à sa tête Esther Malka. L'idée de mettre en avant l'inclusion des femmes de plus de 45 ans, qui font face à la discrimination à l'embauche, est très enthousiasmante. Cette perspective correspond à 100% à la vision de Pôle QVT.
Sur l’emploi des seniors, nous sommes soutenus par Claude Waret, Président de la Fédération Inter-régionale pour le Développement de l’Emploi des Seniors et nous allons proposer un service pour donner des solutions concrètes sur ce sujet. Et ce n'est que le début, car d’autres partenariats sont prévus pour la rentrée !