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L’intime au travail : un sujet propre aux nouvelles générations ?

femme qui travaille

Collaboration avec Youth Forever et The Boson Project

« Égoïste », « paresseuse », « intolérante » ? Ces adjectifs sont très souvent utilisés pour décrire la génération Z, née entre 1997 et 2009, jugée trop individualiste dans le monde professionnel. Elle est pourtant héritière d’une société dans laquelle l’intime et le travail se côtoient et se mêlent depuis des décennies. Ambassadrice de son époque, la génération Z porte haut et fort une demande partagée par toutes les générations : plus d’authenticité dans le monde du travail.  Le Boson Project et Youth Forever[1] nous aiguillent sur l’évolution de l’intime dans le monde du travail.

 

L’intime au travail : un enjeu qui n’est pas nouveau

 

Déjà au début du 20ème siècle, l’intime avait sa place dans le monde du travail. Durant la seconde révolution industrielle, Le cadre légal a évolué pour protéger davantage les travailleurs, notamment à cause des accidents de travail très fréquents. Les contrats de travail ont été régularisés et de grandes instances protectrices[2] ont été créés. Dans ce contexte, l’entreprise devient un lieu où les vies professionnelles et personnelles s’imbriquent dans un même espace-temps. Certaines entreprises mettent à disposition des travailleurs des services qui servent leur vie privée tels qu’un médecin familial mandaté par l’employeur. Certaines vont jusqu’à organiser des lieux de vie autour de l’usine où des services (nourricerie, écoles, théâtre, buanderie, bains et piscines) sont mis à disposition des travailleurs.

 

C’est à partir du milieu du 20ème siècle qu’on assiste à un mouvement de balancier.
La frontière entre la vie personnelle et professionnelle s’est renforcée. Deux facteurs majeurs expliquent cette évolution.
D’une part, en dehors de l’entreprise, de grandes réformes ont été menées pour permettre aux salariés d’investir leur vie privée à la sortie du travail. Par exemple, les accords de Matignon (1936) ont instauré les premières conventions collectives, les congés payés et réduisent la durée légale du travail à 40h par semaine.
D’autre part, à l’intérieur de l’entreprise, l’apparition du contrat de travail donne naissance à une relation de subordination lors de sa signature. L’autonomie au travail s’amenuise, en raison même de l’avènement du contrat de travail. Apparaissent ceux qui vont “administrer” le travail, le prévoir, l’organiser, constituer le corps social et le commander : « Surtout, les personnels d’encadrement se multiplient. Ils doublent par exemple au Creusot en huit ans, à partir de 1887. Pas d’entreprise donc, sans un « gouvernement du travail. »[3]. L’entreprise bâtit une organisation dite ‘tayloriste’ et c’est au manager que revient le rôle de développer les bonnes méthodes de ‘révélation des compétences’ de ses salariés, pas l’inverse.
Pour gagner en productivité, le manager adopte une casquette d’ingénieur qui rationalise, divise et standardise l’activité et rejette toute individualité des travailleurs. L’organisation scientifique du travail exclut l’intime du monde du travail.

 

Les années 1970 et 1990 ont marqué un tournant avec l’affirmation des individualités dans la société et dans le monde du travail. A l’heure de la remise en cause du plein emploi, une vague d’émancipation se déploie contre toute les figures d’autorité. Au travail, les salariés critiquent la figure managériale autoritaire et affirment leurs convictions et aspirations individuelles. Cette tendance est aussi portée par la revendication d’un mode managérial plus démocratique, notamment avec le renforcement de l’exercice du droit syndical dans les entreprises avec les accords de Grenelle (1968).

 

Enfin, c’est à partir des années 2010 que l’entreprise a intégré progressivement les émotions, la subjectivité des salariés et les aspirations individuelles.
L’employabilité du collaborateur devient un enjeu clef face à la flexibilisation du marché du travail. L’entreprise est missionnée de faire grandir ses salariés tant sur le plan personnel que professionnel : on assiste à la naissance d’un management dit « humaniste », visant à rétablir la place de l’humain dans les organisations. Ce type de management se construit en réaction au management traditionnel, inopérant pour penser la modernité du monde du travail. Alors, « le management réhabilite la subjectivité des salariés, celle-là même dont le taylorisme prétendait pouvoir se passer, et dessine de nouvelles formes de mise au travail. »[4]. En conséquence, « se développent des formes d’organisation du travail et de la gestion des salariés qui prétendent mieux stimuler l’initiative, l’autonomie et la subjectivité de ces derniers. Ou plutôt qui font face à un nouveau mode de mobilisation de la subjectivité [...]. »[5]
Les compétences sociales sont alors perçues telle des « matières premières »[6] et le manager s’inspire des pratiques de coaching et fait preuve d’une intelligence émotionnelle pour aider chaque collaborateur à développer son propre potentiel.

 

L’authenticité : une nouvelle attente du travail intergénérationnelle

 

Depuis les années 2020, la société évolue vers un besoin d’authenticité[7] affirmé dans le monde professionnel. Cette tendance tend à flouter profondément les frontières personnelles et professionnelles. Deux évènements majeurs expliquent ce constat :

  • La crise sanitaire du COVID-19 a fortement transformé le rapport au travail des salariés via des attentes plus fortes en termes de flexibilité, de sens au travail, d’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle.
  • Une forte levée des tabous dans la société. The Boson Project introduit le concept d’« extime » : le désir de rendre visible certains traits personnels jusqu’alors considérés comme intimes. Cette affirmation de l’identité individuelle s’introduit dans le monde du travail avec des attentes plus fortes en termes d’adéquation aux valeurs et de possibilité d’être soi-même.

 

"La génération Z a découvert le monde du travail en pleine pandémie : pour elle, vie professionnelle et vie personnelle sont imbriquées et toutes deux aussi importantes. Le contexte a mis en lumière de nouvelles attentes non négociables vis-à-vis du travail. Mais ces attentes ne sont pas spécifiquement "jeunes" et souvent partagées par toutes les générations. La jeunesse devient une loupe grossissante sur un rapport au travail qui évolue en intergénérationnel."
Jasmine Manet, directrice générale de Youth Forever

 

Pour répondre à ce besoin d’authenticité, la génération Z exprime ses attentes à l’égard du travail. Dans son étude « Jeunesses et Recherche d’Emploi »[8], Youth Forever identifie plusieurs critères sur lesquelles les entreprises doivent investir pour attirer et fidéliser les recrues :

  • Assurer le respect de l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle ainsi que du bien-être. L’Observatoire des Valeurs[9] a d’ailleurs montré en 2021 que 80% des étudiants ne souhaitent pas sacrifier leur santé pour leur travail. Cette attente s’intensifie avec l’âge.
  • Nourrir un collectif soudé. Les jeunes collaborateurs ont de fortes attentes en termes d’esprit d’équipe, notamment à cause du stress et de l’isolement générés durant la crise sanitaire.
  • Intégrer une entreprise qui a fait le pari de la confiance. La pratique du télétravail est un bon exemple à cet égard. En général, ils ne souhaitent pas pratiquer du full présentiel ou distanciel mais avoir le choix de pratiquer deux jours en télétravail par semaine. Ils perçoivent le full présentiel comme un signe de méfiance à leur égard.
  • Investir à la fois dans le sens et le salaire. Ces deux critères sont tout aussi importants et ne doivent pas être opposés. Concernant le sens, les tâches inhérentes au poste et la sympathie du manager sont les premiers critères qui justifient l’acceptation d’une offre d’emploi. Concernant le salaire, les jeunes recrues sont à la recherche de sécurité, notamment pour pouvoir se loger et se projeter à moyen terme. 80%[10] des jeunes de 15 à 24 ans considèrent le CDI comme un objectif majeur.   
  • Aider chaque collaborateur à développer son potentiel. Les entreprises doivent communiquer clairement les différents dispositifs liés à la mobilité et au développement de compétences pour engager durablement.

 


 

[1] « Contrats de travail, nouvelle génération », Youth Forever, avril 2024, https://www.youth-forever.com/observatoire

[2] Ministère du travail et de la Prévoyance sociale (1906) et le Code du travail (1910)

[3]SEGRESTIN Blanche, HATCHUEL Armand, Refonder l’entreprise, CHAPITRE 1 : L’entreprise, une invention moderne « Le travail comme participation : la naissance du contrat de travail », Éditions du Seuil, Paris, 2012.

[4] LINHART Danièle, Travailler sans les autres ?, PROLOGUE, « Une société de plus en plus homogène en termes de besoins », Editions du Seuil, Paris, 2009.           

[5]Ibid.

[6] SALMON Anne, La Tentation éthique du capitalisme, Editions la Découverte, 2007.

[7] Mike Robbins définir l’authenticité comme « venir au travail avec sa personnalité tout entière » dans « Bring you whole self to work ». En complément, le Petit Robert définit l’authenticité comme « une vérité profonde de l’individu et non des habitudes superficielles, des conventions ».

[9] Etude « Les valeurs des jeunes à l’égard du travail » menée par l’Observatoire des valeurs entre septembre 2020 et mai 2021. http://www.observatoiredesvaleurs.org/wp-content/uploads/2021/06/Livrable-PRA-Observatoire-des-Valeurs.pdf

[10] Etude « 1 Gen Z sur 2 souhaite cumuler emploi fixe et freelance » menée par Forvis Mazars en 2019, https://www.forvismazars.com/fr/fr/a-propos/communiques-de-presse/communiques-de-presse-2019/etude-gen-z