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Y’a-t-il des limites a être soi-même ?

homme entrain de faire une acrobatie sur son bureau

Collaboration avec Convivencia conseil

Face à une demande croissante d’individualisation, les entreprises se retrouvent confrontées à des demandes qui repoussent toujours plus la limite entre les sphères professionnelle et personnelle.  En France, tous les citoyens bénéficient de la liberté d’exprimer leurs convictions personnelles, sous condition de ne pas inciter à la haine ou à la violence. Contrairement au secteur public où une obligation de neutralité s’impose, les salariés du privé jouissent aussi de cette liberté sur leur lieu de travail, dans le respect de certaines conditions. Farah Maiza[1], directrice du Développement chez Convivencia Conseil[2], nous explique comment aborder et gérer ces situations spécifiques.

 

Diriez-vous que toutes les opinions ont leur place au travail ?

Chaque individu a sa propre manière d’envisager le monde et dispose de convictions personnelles de différents ordres : politique, philosophique, religieux ou même spirituel. Même si les entreprises aimeraient pouvoir neutraliser leur environnement de travail, on ne peut pas empêcher les salariés d’avoir des convictions. La dernière décennie a d’ailleurs montré que les entreprises ne sont hermétiques ni aux enjeux personnels, ni aux évènements extérieurs (sociaux, politiques, internationaux). Ce qui relève de la vie privée ou de l’intime s’exprime de plus en plus dans la sphère professionnelle et les entreprises sont confrontées à de nouvelles demandes, notamment par les jeunes générations qui sont exigeantes quant à l’expression de leur individualité.

 

54% des salariés français ont déclaré que les élections législatives de juin et juillet 2024 ont provoqué davantage de discussions politiques avec leurs collègues en comparaison des scrutins passés. Cette immersion de la politique au travail s’explique aussi par une décomplexion des individus, le développement des temps de convivialité en dehors du bureau et des réseaux sociaux.

Source : OpinionWay pour Les Echos - Les Français et les discussions politiques au travail et en famille - Juin 2024

 

Que peuvent faire concrètement les entreprises ?

Le code du travail encadre la liberté des uns pour préserver celle des autres, notamment grâce à deux conditions clefs :

- L’expression des convictions personnelles ne doit pas entraver le respect du contrat de travail. A sa signature, le salarié s’engage àmener toutes ses missions de travail, quelles que soient ses convictions personnelles. Un livreur végétarien doit livrer de la viande s’il s’est engagé à le faire dans son contrat ! Une communication transparente du poste est primordiale durant le recrutement pour assurer le bon alignement entre les tâches assignées au collaborateur et ses opinions personnelles.

- L’expression des convictions personnelles ne doit pas se traduire par un prosélytisme abusif. Par exemple, il est interdit d’utiliser les outils de l’entreprise pour un acte militant, de recruter un collaborateur sur la base de ses convictions personnelles ou de l’inciter à partager son point de vue sur des questions intimes.

 

Le cadre juridique permet également aux entreprises de mettre en place certaines règles en fonction de leur réalité de terrain. L’objectif est d’identifier les risques tangibles issus de l’expression d’une conviction personnelle, pour chaque métier, et d’adopter une mesure adaptée. Il est également important de rappeler que toutes les restrictions apportées doivent être justifiées et proportionnées dans leur application, et ne pas être discriminantes (Article L1121-1 du Code du travail).

 

- L’expression des convictions personnelles ne doit pas remettre en question la réglementation de l’entreprise en matière de conditions d’hygiène et de sécurité. Par exemple, le port de vêtements religieux peut aller à l’encontre des règles de sécurité pour certains métiers de production.

- L’expression des convictions personnelles ne doit pas entraver le bon fonctionnement de l’entreprise. Ce critère s’applique à différents aspects de la vie d’équipe tels que le traitement équitable ou la cohésion d’équipe, mais aussi celui de l’aménagement du temps de travail pour répondre aux demandes personnelles. L’aménagement des horaires ou l’octroi de temps de pause informels doivent être accordés par le manager dans une ambition d’équité de traitement pour éviter toute discrimination. Un autre exemple souvent cité concerne la possibilité de pratiquer son culte sur le lieu de travail pendant les pauses réglementaires. Sur ces temps, le salarié est libre de son activité. En revanche, l’employeur peut restreindre et encadrer cette activité dans ses locaux s’il identifie un espace qui puisse être utilisé dans le respect des règles de sécurité, d’hygiène et de la liberté des collègues. Dans ce cas, il peut poser un cadre sur les conditions qui permettent la pratique, en adéquation avec le bon fonctionnement de l’entreprise (niveau sonore, pratique individuelle ou collective, etc.).

- L’expression des convictions personnelles ne doit pas aller à l’encontre des« intérêts économiques » de l’entreprise. Les entreprises rencontrent souvent des difficultés quant à l’interprétation de ce critère, jugé trop flou et qui peut causer des situations discriminantes. Il a donc été précisé par la loi en 2016, avec la possibilité d’introduire une clause de « neutralité » dans les règlements intérieurs, dans le respect de conditions précises. Les quatre conditions sont les suivantes :

  • L’entreprise s’engage à respecter une neutralité générale et indifférenciée à l’égard de toutes les convictions politiques, philosophiques ou religieuses sur le lieu de travail.
  • La clause de neutralité est spéciale, donc elle ne concerne que les collaborateurs qui ont un contact direct avec les clients ou l’extérieur.
  • L’entreprise doit prouver concrètement le « besoin véritable » de cette clause et le risque porté en cas d’absence de cette clause (perte financière, dégradation de la relation client ou de l’image de l’entreprise par exemple).
  • Tout salarié concerné déjà en poste peut exprimer son désaccord lors de l’application de la clause, ce qui implique que l’entreprise lui fasse une proposition de reclassement interne à un poste non concerné par la clause.

 

Quels sont vos conseils pour assurer une gestion efficace des convictions personnelles en entreprise ?

La première chose, c’est de lever le tabou : les convictions individuelles, notamment religieuses, sont un sujet sensible dans les entreprises et même dans la société française. Les entreprises peuvent être confrontées à des situations difficiles qu’elles craignent de traiter. Il est nécessaire de considérer la pluralité des convictions personnelles comme un sujet de Diversité & Inclusion qui nécessite une posture managériale, et une prise de recul sur les craintes induites. Cette acculturation prend du temps mais elle est bénéfique.

Il faut ensuite comprendre les réalités de terrain. Le code du travail est un point de départ essentiel pour comprendre le cadre juridique applicable aux entreprises. Il n’est cependant pas suffisant, il faut le préciser par la mise en place de règles claires en interne. Les entreprises peuvent se faire accompagner par des spécialistes afin de mieux identifier leurs risques propres, à l’échelle de chaque métier.

Enfin, il est nécessaire de formaliser un plan d’action sur mesure. La construction d’une politique interne avec les différentes parties prenantes (RH, direction diversité & RSE, pôle juridique, managers de proximité) facilite la remontée des besoins et la formulation de guidelines claires pour outiller les acteurs de terrain et assurer des réponses équilibrées, efficaces et équitables.



[1] Farah Maiza, directrice du développement chez Convivencia Conseil, également consultante spécialisée depuis 8 ans autour des sujets liés à la laïcité et son application dans le secteur public, la non-discrimination dans les contextes professionnnels, et la gestion des diversités religieuse et culturelle au sein des collectifs de travail.

[2] Convivencia est une entreprise sociale (ESS) de lutte contre les discriminations qui vise à favoriser l’inclusion et la cohésion interculturelle dans les collectifs de travail et d’engagement, notamment entre les personnes aux origines, cultures et convictions diverses. Elle accompagne ainsi les entreprises, associations, collectivités et services publics, et poursuit son utilité sociale à travers des prestations de conseil et d’audit, d’enquête interne, de formation professionnelle et de production d’outils pédagogiques personnalisés.